F. Stoeckli: L’affaire des colonels 1915–1916

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Titel
L’affaire des colonels 1915–1916. Révélations des archives


Autor(en)
Stoeckli, Fritz
Erschienen
Genève 2020: Slatkine Reprints
Anzahl Seiten
279 S.
von
Langendorf Jean-Jacques

Pour mémoire, rappelons rapidement les faits : vers la fin de 1915, une rumeur commence à circuler dans la presse, puis dans la population suisse. Deux officiers, les colonels de Wattenwyl et Egli, auraient communiqué des informations militaires, mais ne concernant pas la Suisse, à des puissances accréditées à Berne. À la source de cette rumeur se trouvait un certain André Langie, docteur ès lettres et bibliothécaire de la Faculté libre de théologie de Lausanne. Né à Payerne d’une mère vaudoise et d’un père polonais installé en Suisse, il maîtrisait plusieurs langues slaves, dont le russe, et pratiquait entre autres, la cryptographie en amateur, avec un certain talent sans être toutefois génialement doué comme par exemple le Prussien Kasiski. Engagé à titre civil et non assermenté, en septembre 1914, par la section des renseignements de l’armée, il est chargé de décrypter les dépêches russes envoyées de Berne à Petrograd par l’attaché militaire russe. Ce faisant, après avoir non sans peine « cassé » le code fin mars 1915, il remarque qu’il est fait mention d’un Bulletin quotidien, publié dès le début de la guerre et rédigé par la section de renseignement de l’armée suisse et remis quotidiennement aux attachés militaires de l’Allemagne et de l’Autriche-Hongrie à Berne. Langie informe par lettres anonymes l’attaché militaire russe, puis des journalistes romands et son médecin. Parallèlement, l’ambassadeur de France et l’attaché militaire, qui ont eu vent de l’affaire se rendent chez le président de la Confédération Motta qui informe le commandant en chef de l’armée helvétique, le général Ulrich Wille. L’affaire devenue publique provoque une immense émotion (et indignation) en Suisse romande. À partir de février 1916, un procès s’ouvre devant un tribunal militaire à Zurich, les accusés étant le colonel EMG de Wattenwyl, chef du service concerné et son subordonné le colonel EMG Egli, sous-chef d’état-major de l’armée helvétique. Ils expliquent entre autres que les Bulletins ne contenaient que des informations anodines, destinées à servir de monnaie d’échange en termes de renseignement et que la « morale de la neutralité » s’arrête aux portes du service de renseignement. Les deux seront acquittés.

Si toute cette affaire a été bien étudiée par les historiens du siècle précédent (Ruchti, 1928, Schoch, 1972, Ehrbar, 1976), il n’en demeurait pas moins des points obscurs, et non des moindres. Le premier mérite de Fritz Stoeckli est de s’être penché sur de nombreuses sources d’archives, en Suisse et, en Russie, sa connaissance de la langue lui permettant de prendre connaissance des documents déposés aux archives militaires de Moscou. Les résultats de ses recherches vont lui permettre d’établir que le Bulletin n’était effectivement pas une source d’information militaire de grande valeur concernant l’Entente. Une divergence se manifestant entre les informations réelles obtenues par Wattenwyl et Egli et celles, anodines, figurant dans le Bulletin. Cependant, le fait le plus important mis à jour par Stoeckli est que les dépêches envoyées à Petrograd entre 1914-1916 par l’attaché militaire russe à Berne Golovan contenaient, dès octobre 1914, des informations militaires de source suisse. La disparition de certaines sources empêche de savoir si des informations ont été transmises par la Suisse aux puissances centrales. Stoeckli, toutefois sans preuve, l’estime probable. Il ne se serait agi que d’informations limitées, n’impliquant pas la Suisse. « Le nombre de ces dépêches devait être relativement limité, écrit-il, mais leur remise aux Allemands constitue une infraction au principe de neutralité, à l’instar de la remise du Bulletin, mais en plus grave. »

De nombreuses annexes (pp. 147 à 263) éclairent et élargissent les analyses de l’auteur. Entre autres, une chronologie de l’affaire, les extraits du sténogramme du procès de Zurich, les télégrammes et le rapport envoyés par Golovan à Petrograd, le Mémoire de Langie remis au Conseil fédéral, la méthode cryptographique de ce dernier, etc.

En ce qui concerne la personnalité complexe de Langie, apprenti sorcier certainement dépassé par les événements, ses silences et son extrême discrétion la rendent difficile à cerner. On sait toutefois que son père, Polonais d’origine, s’est installé en Suisse dans les années soixante du XIXe siècle. S’est-il agi d’un réfugié politique, ce qui coulerait presque de source, hostile à la Russie ? Dans ce cas pourquoi son fils qu’on dit francophile, s’est-il tourné vers la Russie, et non pas vers la France ? Le lecteur curieux se demande quelle pouvait être le sujet de sa thèse de doctorat, soutenue à l’université de Lausanne. Il suppose qu’il pouvait s’agir d’un sujet de l’histoire de la cryptographie. Or, il n’en est rien, le titre étant Les bibliothèques publiques dans l’ancienne Rome et dans l’Empire romain. Ce qui explique ses fonctions ultérieures.

En résumé, l’ouvrage de Fritz Stoeckli apporte non seulement une foule d’informations, plus ou moins connues, mais il montre que la communication de renseignements plutôt anodins n’a pas été unilatérale. À ce titre, il constitue une intéressante contribution à l’éclaircissement d’une ténébreuse affaire, comme aurait dit Balzac.

On ne trouvera pas chez Stoeckli le récit des effets dévastateurs de « l’affaire des colonels » sur la population suisse, qui a creusé le fossé entre Alémaniques et Romands d’une manière rédhibitoire. On ne peut lui en faire le reproche, car il nous prévient d’emblée que son travail n’envisage que l’aspect militaire de la question.
Alors que sur le sol de France les deux belligérants s’ingéniaient à construire des réseaux de tranchées de plus en plus sophistiqués, la Suisse, elle, édifiait un énorme fossé psychologique et moral coupant le pays en deux ; « l’Affaire des colonels » étant un élément de ce système défensif. Suum quique comme disait la devise de l’armée prussienne.

Zitierweise:
Langendorf, Jean-Jacques: Rezension zu: Fritz Stoeckli, L’affaire des colonels 1915-1916 : révélations d’archives, Genève 2020. Zuerst erschienen in: Revue historique vaudoise, tome 129, 2021, p. 212-213.

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Zuerst veröffentlicht in

Revue historique vaudoise, tome 129, 2021, p. 212-213.

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